Mars
2007 Lettre
Pastorale Une porte ouverte Les sessions synodales viennent de
sachever. Je ne sais pourquoi, je reçois le travail
effectué et ses résultats comme une sorte de lettre du Christ à la manière de
celle transcrite dans lApocalypse - à lEglise de Philadelphie. LEglise de Philadelphie est celle
dune ville (relativement) neuve, voulue par lEtat-central. Elle est
fidèle...mais « elle a peu de force » dans un environnement difficile. Le sens de cette
lettre est clair : « Tiens ferme ». Et au cur du message, cette affirmation
extraordinaire : « jai ouvert devant toi une porte que nul ne peut fermer ». Les sessions synodales viennent de
sachever. Elles ont clos une période de travail long,
pas toujours exaltant, qui sest déroulée dans les secteurs et qui a abouti à la
rédaction de plus de trois cents motions. La lecture attentive
de ces motions permet de prendre conscience de la fidélité de notre Eglise non seulement
au Christ, mais aussi aux intuitions fondamentales des précédents Synodes. Il est vrai que les mots
daujourdhui ne sont pas forcément ceux dhier et que des accents ont
été déplacés : quoi de plus normal ? Malgré la brièveté du temps qui nous sépare
de ces Synodes, le renouvellement de la population, lévolution des conditions de
vie, les changements culturels sont des données évidentes. Depuis la publication du premier « Courage de
lavenir », nombreux sont les retraités qui ont quitté le département et les
migrants qui y sont arrivés ; lurbanisation sest accentuée et sest
développée vers le Sud (et peut-être faudrait-il inventer un autre mot
quurbanisation tant ce qui se passe diffère de limage des villes
traditionnelles) ; les communautés de communes et dagglomérations se sont
développées. La mobilité des personnes - spécialement des jeunes - et la «
délocalisation » des appartenances sont de plus en plus évidents. Le monde agricole et
le monde industriel accélèrent leur mutation. Des sortes démeutes ont eu lieu en
novembre 2005. Des peurs se développent, par exemple, autour de la violence ou du
réchauffement de la planète ; le monde virtuel prend une place grandissante
Beaucoup parlent dindividualisme
généralisé mais le mot là encore est peut-être mal choisi : léclatement de la
société, la fragilité des familles, la
possibilité offerte par les moyens de communications modernes de se passer de ses voisins
et de trouver ailleurs des personnes qui nous sont semblables, changent la manière de
faire société. Tout ceci a des répercussions dans
lEglise où se croisent des demandes diverses : demande traditionnelle de ceux qui,
nayant pas pris conscience des évolutions,
attendent de la communauté ce quen
attendaient leurs grands- parents. Demande des chrétiens qui appartiennent à la
communauté et qui veulent que leur sacerdoce baptismal y soit honoré. Demande de ceux
qui vivent leur foi « hors sol » mais entendent bien avoir un poids sur ce que vivent
les chrétiens
leur pratique dominicale sest espacée voire effondrée ; ils
ont souvent une mauvaise image de lEglise, mais ils se sentent encore de la
maison
et ils manifestent, souvent ailleurs que dans lEglise, une véritable
soif spirituelle. Les sessions synodales viennent de
sachever. Même si lanalyse du monde na pas
beaucoup été explicitée, elle est souvent sous-jacente. Et, au cur de ce monde - tel quil
est - le Synode a invité notre Eglise à avoir le courage de lavenir en vivant
laujourdhui de Dieu et en revenant sans cesse aux fondamentaux de la vie
chrétienne : vivre du Christ, vivre dans ce monde, vivre en Eglise. Ce triple appel du Synode a été lancé
tranquillement. Il y a eu des débats en secteur et lors de ces
rencontres synodales. Il y a eu quelquefois de la passion mais je nai jamais entendu
de lamentation ni dagressivité : le Synode a été vécu dans lespérance, dans la certitude que le Seigneur avait ouvert une
fois pour toute la porte du bonheur qui conduit à Dieu et aux hommes. Le Christ ouvre la porte de Dieu. La crise que traverse lEglise
aujourdhui est due, dans une large mesure, à la répercussion, dans lEglise
elle-même et dans la vie de ses membres, dun ensemble de mutations sociales et
culturelles rapides, profondes et qui ont une dimension mondiale. Nous sommes en train de changer de monde et de
société. Un monde sefface et un autre est en train démerger, sans
quexiste aucun modèle préétabli pour sa construction. Des équilibres anciens
sont en train de disparaître, et les équilibres nouveaux ont du mal à se constituer.
Or, par toute son histoire, spécialement en Europe, lEglise se trouve assez
profondément solidaire des équilibres anciens et de la figure du monde qui
sefface. Non seulement elle y était bien insérée, mais elle avait largement
contribué à sa constitution, tandis que la figure du monde quil sagit de
construire nous échappe. Les Evêques de France Lettre aux catholiques de France (1996) p.22 Face à cette crise, comme les évêques de
France lavaient demandé dans cette lettre, le Synode a montré que, loin
dêtre cause de découragement, « la situation critique qui est la nôtre nous
pousse au contraire à aller aux sources de notre foi et à devenir disciples et témoins
du Dieu de Jésus Christ dune façon plus décidée et plus radicale ». Les Evêques de France Lettre aux catholiques de France (1996) p.21 Beaucoup des motions votées dans les secteurs
ont eu pour objet laccueil de la Parole de Dieu, la liturgie, la formation, la
réponse aux attentes spirituelles. Au début de nos sessions synodales, devant les
synthèses « trop sèches » qui en avaient été faites, plusieurs voix se sont
élevées pour demander que les motivations profondes de ces
motions soient explicitées. Et, de fait, je pense quun des points forts du Synode a été la demande ferme de passer
de limplicite à lexplicite, dune foi qui, par discrétion, est
tellement secrète, quelle finit par disparaître du cur de ceux qui agissent
en son nom, à une foi qui ose se dire fièrement. En voulant une foi qui mette, suivant lexpression de Paul, son «
orgueil » dans le Christ Jésus (Ph 3.3), le Synode ne demande pas dêtre arrogant
ou cocardier. Au contraire ! Mais, pour se situer dans notre monde pluraliste et inquiet de trouver son
identité, le Synode demande dêtre clairement, publiquement et du fond du cur
attaché au Christ. Pour vivre du Christ, le Synode a largement
insisté sur la nécessité de nourrir la foi. Pour ma part, jai été frappé par
linsistance mise sur la formation, sur la Parole de Dieu et sur la liturgie. Certes, le Synode nous pousse à agir, mais il
y a eu une insistance discrète et forte sur lécoute et sur le silence, comme une
invitation à ne pas passer à laction sans dabord prendre le temps de se
mettre en présence de Dieu. Le Synode a ainsi voulu que notre agir
chrétien soit un agir « dans le Christ », une volonté effective dincarner la
Parole reçue dans le monde daujourdhui. Agir cest, bien sûr, se situer devant
Dieu, être présent, transmettre, communiquer, vivre la communion, établir des
collaborations
mais jentendais, au-delà de ces mots, un appel à vivre le
mystère pascal
le passage que nous sommes constamment appelés à faire avec le
Christ consiste à accepter la mort de nos manières de voir, de nos avoirs,
de nos associations, de nos
organisations, et de faire confiance à la force de vie venant de Dieu. Le Christ ouvre la porte de notre monde. Il y a eu de lélan missionnaire dans le
Synode. Pas un élan lyrique du genre « nous referons
chrétiens nos frères », mais un élan convaincu et humble qui se caractérisait par
deux mots : « proximité » et « inter » (inter-ethnique, inter-culturel,
inter-religieux, inter-confessionnel, inter- générationnel). Il y a eu de lamour pour notre monde de
banlieue dans notre Synode : amour pour les habitants des Cités, amour pour ceux qui font
les pôles dits par le gouvernement pôles dexcellence, amour pour la classe moyenne
ballottée et transportée, amour pour les blessés de la vie et spécialement les
divorcés remariés -. Encore une fois il ny a pas eu de grands
élans, mais tout au long de nos débats je pensais à un mot qui na jamais été
prononcé mais qui en faisait comme le cur : le respect. Le respect est une retenue qui évite de mettre
lautre dans une catégorie, dans un alinéa de plan pré-établi, cest le
début dune considération du mystère de lautre, cest un frein mis à
une sorte daffection et de prise en charge envahissante sur lautre
Peut-être, à certains moments, ai-je été
tenté de penser que nous nallions pas assez loin dans notre volonté missionnaire,
que nous étions trop timides et pas assez conscients de nos possibilités
ou même
que nous préférions la chaleur du cocon au vent du large. Ce fut, sans doute, parfois vrai. Mais cela nétait pas vrai en profondeur. Le
Synode a montré que nous avions une réelle volonté dêtre missionnaire dans la
mesure où il a exprimé notre désir de créer du lien social au niveau le plus modeste,
autour de nous, avec ceux qui sont là, tels quils sont. La volonté de créer du lien social nous
pousse à prendre contact avec les élus et les associations de nos lieux de vie.
Dune certaine manière, nous avons exprimé avec nos mots ce que le Concile affirme
de lEglise : « celle-ci est, pour sa part, dans le Christ, comme un sacrement où,
si lon veut, un signe et un moyen dopérer lunion intime avec Dieu et
lunité de tout le genre humain » (Lumen Gentium 1). Cette pastorale du respect, pour être
significative, ne doit cependant pas taire Celui qui nous envoie : il y aurait beaucoup
dorgueil à penser que, dans ce monde éclaté où il est difficile de rencontrer
son voisin, notre seule présence fasse sacrement : un sacrement est un signe quune
parole accompagne ! Evidemment, cette pastorale du respect, dont
nous avons dessiné les contours, doit beaucoup à notre histoire et, en particulier aux
religieuses apostoliques et aux prêtres vivant dans les cités ! Comment ne pas leur en
rendre grâce ? Nos débats sur la mission nous ont fait
aborder beaucoup de sujets et nous ont invités à être plus présents à la vie de nos cités (encore la proximité !), et aux familles. Il y a, pour
les familles, une insistance nouvelle qui correspond sans doute à une urgence. Dans notre
diocèse beaucoup est fait pour la préparation au mariage par des propositions de
réflexion sur la vie matrimoniale mais aussi par des propositions de catéchèse
il
existe un souhait daller au-delà : en proposant une aide à léducation des
enfants ? à laccompagnement devant les
difficultés ? Nous avons beaucoup parlé des jeunes et de la
nécessité de les rencontrer. Nous navons pas beaucoup abouti à dire ce quil
convenait de faire. Cest sans doute heureux : quand on ne sait pas, il vaut mieux se
taire. Mais nous nous sommes redit lessentiel : nous les aimons et nous leur faisons
confiance. Il est probable quils nentrent pas dans les institutions telles que
nous les vivons : jai pris notre silence, non comme un refus de transmettre car
cest le contraire qui nous habite, mais comme une invitation à faire entendre ce
qui est essentiel pour nous
et à donner aux jeunes les moyens dinventer la
suite sous leur responsabilité. Le Christ ouvre la porte de l'Eglise. En lançant ce troisième Synode de l'Eglise
diocésaine, mon projet était de continuer l'élan précédent : le premier Synode avait
"fondé" le diocèse dans sa volonté de s'insérer au cur de la vie
locale ; il s'était largement appuyé sur les laïcs. Le deuxième Synode s'est largement
appuyé sur les services et les conseils. Il me semblait que le temps était venu de
relancer l'esprit missionnaire à partir de la base
c'est-à-dire à partir des
secteurs. Ou, pour être plus exact, à partir de la prise de conscience de leur baptême
par tous les acteurs de la pastorale : laïcs, religieux, religieuses, diacres, prêtres
et évêque, en privilégiant un lieu d'échange et d'action, le secteur. Je n'insiste pas sur tout ce qu'a dit le Synode
de prise en compte de la réalité, de la responsabilité en matière de compétence et de
formation, c'est pourtant capital : le Synode a, au fond,
demandé que notre Eglise soit à la fois catéchisée- toujours recatéchisée - et
catéchisante : il nous faut avancer vers la rédaction de notre plan pastoral
en ce domaine. Quant à l'organisation de notre Eglise, très
clairement, le Synode a fait apparaître la
nécessité de repenser les articulations entre les différentes instances du diocèse,
d'assouplir certaines règles et d'ouvrir quelques autres chemins. Pour nous tous l'Eglise est un « mystère
»
Et les débats sur l'organisation humaine de notre Eglise peuvent paraître
dérisoires
mais comme nous allons à l'invisible
par le visible,
il ne nous faut pas mépriser ces problèmes d'organisation. Le Courage de l'Avenir
définit le secteur comme la cellule de base. Il doit rester la référence,
non seulement pour des questions de pénurie mais parce qu'il permet - en mutualisant
certains services - d'initier et de faire nôtre la catholicité de l'Eglise. Pour autant, ici comme ailleurs, le principe de
subsidiarité doit s'appliquer et la paroisse - voire l'équipe ou le relais local - doit
se charger de tout ce qui peut être envisagé à son niveau. Les équipes animatrices ont
été plébiscitées lors de ce Synode
qu'elles en soient félicitées ! Comment articuler secteur et paroisse ? J'ai essayé de comprendre ce qui s'est dit et
écrit, je vous propose une manière simple d'en tenir compte
tout en allant
au-delà de ce qui s'est échangé formellement. Le rôle du responsable de secteur est
essentiel et doit être maintenu. Avec les équipes animatrices et les différents acteurs
pastoraux il doit être lorganisateur de la mise au point dorientations de
secteur claires, simples et peu nombreuses à partir desquelles chaque paroisse (ou
groupement paroissial) définit un projet adapté à sa réalité locale. De plus avec les mêmes personnes
il veillera à définir une priorité unique, un objectif évaluable à la réalisation
duquel un maximum de groupes, services, mouvements, communautés religieuses seront
appelés à participer. Pour cela le secteur doit être le lieu qui fédère au moins une
fois par an tous ceux qui ont une responsabilité dans les paroisses, les mouvements, les
groupes de prière, les services, les communautés religieuses. Je suis frappé de la multiplicité des
personnes engagées dans toutes sortes de projets, qui ne se rencontrent pas et qui se
désespèrent d'être inefficaces. Ce projet unique n'empêchera pas chacun de
poursuivre sa route mais lui permettra d'apporter sa pierre à l'édifice commun. Là où cela est possible, il faut encourager,
à partir de ce projet unique annuel, dans le cadre des orientations de secteur, la
constitution d'un conseil pastoral de secteur. La nécessité de vivre en secteur encouragera
les prêtres et les diacres à faire de l'équipe pastorale beaucoup plus qu'une équipe
de travail mais un lieu de ressourcement et de vie fraternelle : c'est à ce niveau là
que l'esprit du Synode demande de bâtir le secteur. Certes la responsabilité "in
solidum" nécessite que chaque prêtre connaisse l'ensemble du secteur. Mais les prêtres et les diacres, comme les
fidèles, ont besoin que des liens stables s'établissent pour que la paternité de Dieu
soit signifiée. Conclusion. La porte est ouverte ! Par cette lettre je voulais remercier toux ceux
qui, de près ou de loin, ont participé au Synode, soit dans le secteur, soit lors de nos
sessions synodales diocésaines sans oublier l'équipe synodale et son
président-animateur. Par cette lettre, je voulais aussi vous rendre
compte de la manière dont personnellement j'ai vécu ce temps très intense et très
riche comme une véritable expérience spirituelle. Enfin, par cette lettre, je voulais vous
inviter à la promulgation des conclusions du Synode lors de notre fête de la Pentecôte
au Dôme de Villebon. Pour refléter l'esprit du Synode je souhaite que cette fête soit
bien sûr celle de notre communauté catholique, mais aussi un temps proposé à tous nos
amis quelles que soient leurs convictions. Nous avons beaucoup parlé de proximité : osez
inviter vos proches. Pour autant, la Pentecôte marquera plutôt un
début qu'une fin : il nous faudra vivre de l'esprit du Synode et le mettre en
uvre
Pour cela nous avons décidé, avec le Conseil Presbytéral, de reprendre
la rédaction du Courage de l'Avenir
il nous faudra sans doute encore un peu de
temps pour y parvenir. Mais le travail déjà fait et ce qui sera promulgué à la
Pentecôte nous permettra d'avancer. Une porte est ouverte. L'important maintenant est de faire le pas et
d'aller vers le Christ. + Michel Dubost Evèque dEvry Corbeil-Essonnes |